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Archives municipales du Havre
Actualité

100 : 22 - 7000 - 4 - 111

Cerner à cent années de distance, un mouvement ouvrier local majeur, en quelques chiffres pourrait paraître ridicule, presque provocateur. Cependant la grève de juin 1922, d’une durée de 111 jours, qui compta 7000 grévistes au soir du 22, et se termina par la mort de 4 grévistes, tourne autour de ces points forts.

Résumé d’un mouvement social havrais.

La Première Guerre mondiale a été propice aux hausses de salaire du secteur de l’industrie. Les lendemains s’inscrivent dans la régression. Les premières grèves débutent en mai 1920, sans porter leurs fruits, mais servent de terrain d’expérience. Au plan national, en décembre 1920, le Parti socialiste unifié se scinde, formant pour la majorité, le Parti communiste, et pour la seconde composante, le Parti socialiste. Au Havre, cette dichotomie est cependant moins marquée du fait de la faible représentation de la structure Ps et du syndicalisme existant. Toutefois, la première réunion de la section communiste havraise se tient à Franklin, le 28 janvier 1921. Le Parti communiste doit montrer sa force à convaincre, ayant en face une union locale syndicale à dominante anarchiste, et une municipalité sous domination radicale, avec, à sa tête, Léon Meyer appuyé par plusieurs conseillers municipaux engagés.

Le Havre est désigné comme ville-test pour imposer une baisse de salaire de 10% aux ouvriers. Le 15 avril 1922, les Tréfileries servent de laboratoire. Des militants syndicaux sont mis à pied après une cessation de travail et une manifestation. Après quelques tergiversations, le mouvement se calme, laissant penser le patronat penser à une relative docilité ouvrière. Le 20 juin 1922, la chambre syndicale patronale de la métallurgie, pilotée par le puissant Comité des Forges, avec l’aval des pouvoirs publics, se charge de l’annonce. À l’affichage sans préavis des diminutions de salaire, les métallos des chantiers navals de la Gironde, sur le canal de Tancarville se mettent en grève. Après Westinghouse, Augustin-Normand, Caillard, les Chargeurs…. le 23 juin le mouvement s’est étendu à tout le secteur de la métallurgie havraise, Schneider, les Tréfileries etc. Depuis 1920 les Havrais font face à une hausse du coût de la vie et à l’augmentation du prix des loyers. Le mouvement rencontre donc un avis favorable de la population. La solidarité, permet aux familles ouvrières démunies de trouver du pain et des vivres pour tenir. Les négociations entre patronat et syndicat piétinent, malgré l’appui des politiques locaux en particulier de Jules Siegfried, qui, malgré son statut d’ancien ministre et son esprit d’ouverture, se fait éconduire sans ménagement par le ministère du travail et le patronat.

Le comité de grève sentant la tension monter demande à ce que les enfants des grévistes partent vers des foyers plus hospitaliers. Le départ doit se faire par train. Le 26 juillet, le président de la chambre patronale exhorte les femmes des grévistes à faire reprendre le travail aux maris. Il est malmené, bien que sans blessures, et sa voiture est renversée.

La grève structurée, organisée et encadrée risque de perdurer. Pour désorganiser le mouvement, le Comité des Forges demande aux industriels du Nord de s’opposer à l’embauche des ouvriers partis s’employer dans la région. La crispation est palpable depuis l’arrivée, le 20 août, des forces de gendarmerie, du 12ème Chasseurs à cheval d’Evreux et de soldats. Un cran est encore franchi avec l’identification, au Havre de provocateurs, que certains syndicalistes désignent comme des briseurs de grève, aux ordres du Comité des Forges. L’attitude bienveillante de la municipalité, sous la conduite de Léon Meyer, tend à s’infléchir, peut-être, comme il a été dit plus tard, sous la poussée de calculs politiciens.

Devant l’intransigeance du patronat soutenu par le gouvernement et l’envoi de la troupe, Le 23 août, la grève de solidarité se généralise avec les dockers, les marins et plusieurs autres corporations. Le 25, les grévistes sont maintenant au nombre de 22 000. 66 jours se sont écoulés sans entrée d’argent pour les familles. La troupe à cheval, pourtant renforcée par le 7ème Chasseurs de Rouen, refuse l’affrontement. Elle est remplacée par la gendarmerie qui charge les grévistes sabre au clair. Le 26 août, le service d’ordre renforcé durant la nuit pour réprimer la résistance, se tient aux abords du cercle Franklin. La police et la gendarmerie harcèlent les groupes d’ouvriers qui ripostent par des jets de pierre, tandis que des barricades s’édifient avec des charrettes renversées et des tas de pavés de rue, entre la gare et la rue Demidoff. Le commissaire Gagnon tente de s’avancer, mais, blessé par des jets de pierre, il doit reculer. Un tréfileur gréviste de 18 ans est arrêté sans ménagement. Le préfet Lallemand, pour en finir avec les manifestants a donné des ordres de sévérités. Des coups de feu sont entendus du côté des forces de police. Un peu plus tard dans la fin de l’après-midi un adjudant et un sous-lieutenant tirent sur un groupe de grévistes. La gendarmerie s’engouffre dans la brèche et contourne la barricade. Les tirs de mousquetons se poursuivent jusque dans la nuit. Au matin du dimanche 27, trois grévistes sont déclarés morts, un quatrième décèdera quelques jours plus tard des suites de ses blessures. La bourse et le cercle Franklin sont occupés par l’armée, des responsables du comité de grève et 35 autres membres sont arrêté. Des dizaines de manifestants, blessés, ont été incarcérés. Le mouvement n’a plus de leaders. De nouveaux dirigeants grévistes sont désignés qui poursuivent le mouvement, en regroupant les participants, soutenus par la population, dans une vallée boisée située dans la forêt de Montgeon. Il sera désigné sous le nom du « trou des Métallos ».

Le mouvement tend cependant à s’épuiser. Le 30 septembre les dockers se désolidarisent. Le 8 octobre, par décision unanime, la grève est arrêtée et les ouvriers repartent travailler en ayant le sentiment de s’être battu courageusement. De fait, ils subiront la baisse de salaire, mais leur combat aura permis que cette diminution ne se généralise pas aux autres ouvriers français.

111 jours se sont écoulés depuis ce premier jour du 22 juin. Quatre grévistes l’auront payé de leur vie et 1 200 ouvriers se retrouveront au chômage.

Qu’en reste-t-il de ces temps ? Georges Allain, Henri Lefèvre, Maurice Tronelle et Charles Victoire, ces grévistes tués par les forces de l’ordre, ont donné leurs noms en 1972à quatre rues du quartier du Mont-Gaillard.

Pour en savoir plus
Documentation :
Dossier documentaire : 15.1/1 : Mouvements ouvrier, grèves de la métallurgie de 1922
Les pavés de Franklin, les 111 jours de grève de métallos havrais en 1922, CLEC de l’Eure.
Communistes au Havre, Histoire sociale, culturelle et politique (1930-1983). Par M.-P. Dhaille-Hervieu, PURH, 2009.
Dockers, métallos, ménagères, mouvements sociaux et cultures militantes au Havre 1912-1923 par J. Barzman, PURH, 1997.
Le Peuple du Havre et son histoire 1914-1940. Croissance et crises, par J. Legoy, Editions de l’Estuaire, 2002.

Sources :
Archives fonds contemporain
2I–8/6 : grève 1919-1929
2I-8 /8 : ouvriers métallurgistes, grève août 1922
3K–57/3 : Cérémonie (1971) sur les tombes des grévistes de 1922
3K-58/1 : Cérémonie (1972) sur les tombes des grévistes de 1922
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