Rares sont les objets conservés aux Archives municipales du Havre, car ce n’est pas la vocation de ce service de les conserver. Grâce à un don du Centre havrais de Recherche historique (CHRH), les Archives conservent cependant le fût, brisé à la crosse, d’un fusil britannique Lee Enfield.
Le cartel attaché à l’objet révèle que cette arme a été découverte au niveau de « la base sous-marine », lors d’une opération de dragage ordonnée par le Port Autonome du Havre.
Les cérémonies du 75e anniversaire de la libération du Havre sont l’occasion, non pas tant du retour sur les circonstances de la découverte du fusil britannique, que de la révélation d’une histoire dans l’histoire, mettant ainsi en lumière des incohérences sur des faits considérés comme des certitudes …
Au même titre que Le Havre devient, courant 1942, un district défensif des côtes (Küstenverteidigung), inclus dans le Mur de l’Atlantique (Atlantikwall), cette même année, la Marine de guerre allemande assoie sa suprématie sur mer en ayant construit, au cœur du port, une base navale (Räumbootsbunker) à l’extrémité sud ouest du Môle central, spécialement aménagée pour l’accueil de vedettes dragueurs de mines-escorteurs (Räumboote).
Les habitudes havraises veulent que ce Räumbootsbunker soit dénommé « base sous-marine ». Cette appellation locale, eu égard à sa fonction, est donc fausse. La base peut occasionnellement servir pour les vedettes rapides lance-torpilles (Schnellboot). Les structures permettent aussi les escales, l’armement et les réparations éventuelles de torpilleurs (Torpedobootsflotille).
En 1996, l’auteur américain James Foster Tent, dans son livre E-boat alert – Defending the Normandy Invasion Fleet est le premier à s’interroger sur certains faits, consignés dans le récit d’un résistant, dont le témoignage fait pourtant foi.
Une exposition présentée durant l’automne 2015 au Musée maritime et portuaire rectifie, sur les investigations de Sébastien Haule de nombreuses erreurs sur l’histoire de cette structure de la Kriegsmarine.
Depuis le début de cet été, grâce au nouveau travail de recherche de Sébastien Haule, historien et ingénieur d’étude CNRS, une part des légendes qui planaient sur la base pour vedettes est en passe d’être levée. Les explications, démonstrations et conclusions sont révélées dans l’exposition qui se tient à la mairie du Havre – « 75e anniversaire de la libération du Havre. Dernière étape de la Bataille de Normandie » (20 juillet – 22 septembre).
Depuis le début du débarquement, le 6 juin 1944, la base des vedettes rapides du Havre joue un rôle principal dans le harcèlement imposé aux navires alliés le long des côtes de Basse-Normandie.
Devant les pertes de navires occasionnées par les vedettes et les torpilleurs allemands basés au Havre, l’amiral Bertram Ramsay commandant en chef de la Force navale expéditionnaire alliée demande l’intervention du Bomber command. Un bombardement est lancé dans la nuit du 14 au 15 juin. Les dommages occasionnés à la Gare maritime et aux habitations proches du port sont importants (580 immeubles touchés). Malgré le largage de bombes tallboy de 5450 kg, la base des vedettes, en dépit de la perte de patrouilleurs, de torpilleurs, de dragueurs, de six vedettes rapides, d’une destruction partielle de la base (en particulier de la salle de réglage des torpilles) et de la mort d’au moins 170 membres du personnel, redevient active dès le 18 juin.
Si l’on en croit un article de presse publié par Le Havre Libre le 28 octobre 1944, les explosions entendues durant la nuit du 6 juillet 1944 seraient la conséquence d’un acte de sabotage perpétré au niveau du Räumbootsbunker, par le résistant Maurice Leboucher, qui s’en déclare ouvertement l’auteur.
Pourtant, les enquêtes menées dès le lendemain, à la demande du Führer, par les autorités allemandes vont conclure à tout autre chose. Ce rapport inconnu des chercheurs car oublié, mais justement révélé par Sébastien Haule est formel : l’accident est dû à l’inconséquence d’un chauffeur allemand livreur de carburant et non à un acte de sabotage par un résistant.
Par voie de conséquence et selon les conclusions de Sébastien Haule : la caution historique sans limite accordée jusqu’à présent aux propos de Maurice Leboucher est à reconsidérer, d’autant que d’autres incohérences émaillent les versions qu’il va donner, après-guerre, aux différentes autorités.
Le fait est là : les structures militaires de la base navale sont détruites le 12 septembre, comme le seront aussi le Minenbunker, des grues, des sas et des quais. Action des alliés libérateurs ?
Non : Action de sabotage des derniers groupuscules de marins allemands, qui appliquent les consignes. Dès 1943, la Kriegsmarine avait d’ailleurs pris ses dispositions en minant la plupart des points stratégiques du port.
La base détruite, véritable verrue dans le port du Havre, devenu le 16e Port, reste, jusqu’à la fin des années 1940, une épine dans le pied du Port autonome, en charge de redynamiser une structure portuaire rendue difficilement utilisable, conséquence des bombardements durant cinq ans de guerre.
Dans cette optique : quid du devenir de la base pour vedettes ?
Les années 1950 verront certaines composantes de la base en béton armé, coupées et réemployées dans le renforcement de quais.
Les travaux de rasement de la base débutent en 1964 pour s’achever en 1971, soit sept années, qui voient artificiers, ingénieurs, techniciens, grutiers et ouvriers se succéder, pendant qu’au bout du môle, des engins flottants s’ingénient à extraire les pieux et la drague à retirer les gravats épandus dans la passe.
C’est à cette occasion que le fût d’un fusil Lee Enfield sera relevé dans un godet et récupéré par Daniel Evers, officier du service des dragages du Port, pour être offert au CHRH et remis aux Archives du Havre, où il est présenté en vitrine, dans la salle de médiation Philippe-Barrey.
Ces restes d’une arme britannique ordinaire, permettent - en dépit de leur simplicité, voire de leur banalité – de s’interroger. La démarche de l’historien est justement de revenir sur certains faits, même considérés comme des certitudes. Le travail de l’archiviste est de suggérer les chemins possibles d’investigation, les voies à explorer, de pointer les écueils à contourner et d’orienter vers les documents à consulter… complémentarité des fonctions.
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