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ARCHIVES - LE HAVRE   FR / EN

L'Affaire Dreyfus vue par la presse havraise

Portrait du capitaine Alfred Dreyfus en 1894

Dessin de Albert René (Morice) relatif à l’Affaire Dreyfus, publié en Une de La Cloche illustrée dans l’édition du samedi 25 mars 1899

Deux bourgeois, un Anglais et un Français, discutent. L’Anglais demande au Français « Qu’est-ce qu’on pense de l’Affaire dans votre pays ? » Le Français lui répond « Ça dépend comment on a le nez fait ».

La réponse du Français, incarné par une caricature de juif, laisse supposer que la France est sous contrôle juif et que par conséquent les Dreyfusards sont eux-mêmes contrôlés, manipulés par les Juifs de France. Ce dessin laisse également penser que les Juifs de France sont en relation étroite avec les milieux d’affaires britanniques.

 

Article « Le dreyfusisme au Havre » Jules Heuzey, La Cloche illustrée, samedi 10 décembre 1898, N° 676

Dans cet article, Jules Heuzey regrette le trop grand nombre de Dreyfusards au Havre, ville où selon lui, le commerce est tenu par les étrangers et les juifs. Il dénonce également la trop grande proximité entre les membres du cercle Franklin et les Dreyfusards havrais. Il rapporte les échauffourées qui ont eu lieu entre Dreyfusards et Patriotes nationalistes (Antidreyfusards) lors de la réunion qui s’est tenue au Cercle Franklin le mercredi 7 décembre 1898 et en attribue la responsabilité aux Dreyfusards.

 

Article « Cercle Franklin , la Ligue des droits de l’Homme ...et de la Femme », Le Sonneur, La Cloche illustrée, samedi 10 décembre 1898, N° 676

Dans cet article, signé du pseudonyme « Le Sonneur », le journaliste dénonce l’internationalisme du dreyfusisme en France et au Havre et regrette que les idées nationalistes et patriotiques qu’il défend ne soient pas reconnues à leur juste valeur. Dans cet article, Dreyfus est encore considéré comme un traître alors que sont encensées l’Armée française et les valeurs patriotiques. Enfin, il trouve que les Dreyfusards sont influencés par les discours des intellectuels qui veulent soumettre et faire taire les bons nationalistes français.

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Informations
Auteur : Albert René
Dates extrêmes : 1899
Période : 19ème siècle
Type de document : Dessins
Cote : PER035
Historique Personnages célèbres Politique Vie économique et sociale

Contexte

À cette date, l’Affaire Dreyfus bat son plein. Depuis la publication de la lettre de Zola, les Dreyfusards et les Antidreyfusards s’opposent au travers de leurs ligues respectives et s’affrontent dans les journaux d’opinion acquis à leurs idées.

 

Cercle Franklin

Jules Heuzey a été journaliste à La Cloche illustrée et a également travaillé pour Le Grelot, hebdomadaire satirique parisien (1871-1903). À l’image de La cloche illustrée, Le Grelot, journal républicain au départ, a basculé dans l’antisémitisme et le cléricalisme au moment de l’Affaire Dreyfus.

Le cercle Franklin est inauguré au Havre en 1876 par Jules Siegfried, maire du Havre à plusieurs reprises et président de la Ligue de l’enseignement au moment de l’inauguration. À l’image des cercles anglais, ce bâtiment était composé de salles dédiées à la culture, l’enseignement populaire (conférences…) et au sport pour renforcer l’instruction des classes ouvrières. Mais les difficultés économiques de la société qui le gérait la conduisent à la liquidation en 1893 et l’édifice fut mis à la disposition des syndicats ouvriers l’année suivante.

La Cloche Illustrée est un hebdomadaire satirique havrais publié de 1885 à 1911. Radical à ses débuts, il bascule en 1898 dans un antidreyfusisme des plus virulents, consacre plusieurs de ses unes à l'affaire Dreyfus et publie de violents articles contre les Dreyfusards. Les principaux collaborateurs de ce journal furent Auguste Godefroy, son fondateur, et Albert René Morice, rédacteur en chef de 1896 à 1902 et dessinateur de 1896 à 1910. Certains journalistes y signèrent leurs articles par des pseudonymes mais Jules Heuzey, qui a également collaboré au Grelot (journal antidreyfusard parisien) et Jules d’Ingouville, le correspondant de la Cloche illustrée en Angleterre, n’hésitent pas à signer de leur nom d’état civil. Rapporté à la population havraise (116.639 habitants en 1891), son tirage ne devait pas excéder 10.000 exemplaires.

Transcription

Les Dreyfusards se sentaient au Havre, où le haut commerce est entre les mains des étrangers et le petit commerce entre celles des juifs, sur un trop bon terrain, pour ne pas songer à l’exploiter.

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Ils ont fondé une succursale havraise de la Société des Droits de l’Homme, où l’on remarque les noms de MM. Ch. Haas, Mundler, Artzner, Berger, Gibert, Du Pasquier Hermann, Gartner, Schladenhaufen, Brunschwig, Schmoll, etc. Je ne crois pas pourtant que tous les ancêtres de ces braves gens aient pris une part bien active dans la déclaration de ces Droits de l’Homme, dont leurs descendants semblent vouloir revendiquer la paternelle succession.

Il y a aussi parmi les défenseurs du « divin » Picquart, le divin Maleux, le pondéré Deliot, l’adroit ( !) Landrieu, le vague Morgand, le fatal Cherfils, le beau Denis Guillot, notre éloquent comfrère Dumoulin et ce pauvre Persac, dont nous ne voyons pas bien le poste dans cet équipage, mais qui y gagnera certainement un débarquement aux prochaines élections.

La réunion au Cercle Franklin de mercredi dernier serait-elle donc une tentative de renflouement du Comité Démocratique, qui répudiait avec une si belle indignation toute affinité avec le dreyfusisme ?

Bref, on avait bien fait les choses ; et si l’interne Châlon (sur scène en ce moment) nous apprend avec des larmes dans la plume que le Dr Gibert donnait, en plus de ses consultations, 40 sous à ses malades (ce qui est possible) ; le comité Gibert qui endosse le cas de Picquart (et qui me paraît donc atteint d’une endopiquardite), avait dû distribuer largement aussi les pièces de 40 sous aux manieurs de chaises chargés d’assommer les patriotes qui criaient : « Vive la France » et « Vive l’Armée ».

Notre sympathique confrère Brenier, du Courrier du Havre, a été frappé violemment et expulsé par les luministes de l’affaire Treyfouss-Picquart, qui ne redoutent que la lumière du conseil de guerre.

Cette façon de comprendre la discussion peut amener les pires représailles. On n ira plus à ces sortes de réunions qu’armés jusqu’aux dents. Déjà à Paris le révolver a parlé. Et si messieurs les Dreyfusards veulent en appeler à la force, ils devraient pourtant bien se figurer qu'il suffirait d’un seul bataillon de cette armée si patiente, dont ils insultent les nobles chefs, pour les réduire tous à un définitif silence.

Et c’est dans cette crainte que nous autres, libéraux, qui avons encore présente à la mémoire la tuerie de Fourmies, commandée par Constans et exécutée par le juif Isaac, nous nous abstenons de faire appel à la violence pour répondre à la violence.

Bref après le bafouillage du docteur Gibert, la mauvaise lecture par M. Landrieu d’articles d’Anatole France qui venait enfin de lui être révélé pour la première fois ; après une protestation très tenace d’un brave marin qui a dit pittoresquement qu’on ferait bien mieux de songer aux Anglais qu’à Dreyfus et à son divin Picquart — vous pensez s’il a été malmené dans cette salle toute faite, maquillée par les plus habiles perruquiers du parti (si c’est un parti) — après un souvenir peu goûté adressé à cet aventurier (!) de Marchand, qui est un bien médiocre voyageur à côté des explorateurs de l’affaire, le bureau présidé par Me Denis Guillot, a mis aux voix un ordre du jour, qui n’a pas été adopté du reste sans une violente opposition en faveur du héros (!) Picquart, qui veut la justice, mais qui redoute celle de ses pairs ; de l’officier rebelle, indiscipliné et faussaire, jusqu’à preuve du contraire, qui lui tout seul honorerait l’armée française, alors que tous ses chefs, les Zurlinden, les Billot, les Boisdeffre, les Chanoine, les Gonsse, les Pellieux et quarante officiers unanimes des conseils de guerre, qui ont d’autres états de service que des campagnes dans les Droits de l'Homme ou dans L'Aurore, ne sont aux yeux de ces conscients et de ces inconscients, que des ganaches, des traineurs de sabre, des buveurs d’absinthe et des acquitteurs par ordre.

Et voilà les anarchistes, nuance Etiévant, qui en appelent à la Cour de cassation des jugements du Conseil de guerre. C’est vraiment tordant de voir Messieurs les juges de la Cour suprême défendus par les anarchos !

Messieurs les membres de la Cour de cassation sont choisis par les hommes plus ou moins propres qui se succèdent au pouvoir, souvent en raison des services qu’ils peuvent rendre. Un grand nombre d’entre eux ne sont pas des magistrats de carrière. Ils ont été simplement des Directeurs de cabinets politiques. Et voilà des juges suprêmes!

Je ne m’inclinerai pas, comme le Petit Havre, devant les jugements des Lœv, des Bard et autres Manau, qui sont trois têtes sous la même toque ; mais je m’inclinerai (et c’est à ces jugements que, grâce à la trahison de Brisson, on peut aujourd’hui faire appel) devant les jugements des Conseils de guerre dont les membres sont tirés au sort, et qui représentent l’armée ; devant les jugements des jurés de Paris et de Versailles, qui représentent le peuple.Ce n’étaient pas, eux, des professionnels de la condamnation ou de l’acquittement ; mais ceux qui dirigeaient leurs débats, le colonel Maurel, le président Delegorgue, ou M. le président Périvier (à qui Brisson vient de donner comme successeur une de ses créatures) étaient des professionnels du devoir et de l’indépendance.

Il en est encore temps, nous voulons faire un appel désespéré, aux esprits dévoyés et aux cœurs égarés (je ne dis pas aux crapules qui touchent de l’argent de l’Allemagne et de l’Angleterre) pour leur montrer, comme ce simple marin, les orages qui grondent à l’extérieur de tous les côtés.

Jamais les Français n’avaient eu plus besoin d’être unis. Jamais ils n’ont été plus désunis. Et c’est l’Etranger qui nous divise pour pouvoir, suivant la tactique Napoléonienne, nous battre séparément.

Les intellectuels, les bysantins dont parlait le général Mercier, les quelques dreyfusistes convaincus ferment les yeux pour ne pas voir les éclairs, se bouchent les oreilles pour ne pas entendre le tonnerre de l’éloquence anglaise qui gronde même en France. Ils se réfugient imprudemment sous l’arbre de l’Affaire. Qu’ils prennent garde que la foudre ne vienne les y atteindre et les y pulvériser avec nous !

Jules Heuzey.

***

CERCLE FRANKLIN

La Ligue des Droits de l’Homme... et de la Femme

Combien il y a loin d’une réunion comme celle qui eut lieu à Franklin mercredi dernier aux réunions électorales, la période battant son plein, où les organisateurs exigent la carte d’électeur, où les auditeurs, aveuglés, excités par la politique, sont prêts à se jeter les uns sur les autres, où du haut de la tribune, clament les candidats contre tout ce qui s’oppose à l’avènement de leurs légitimés ambitions.

Au début, à la formation du bureau, un peu de bruit, du tumulte même, avec échange de quelques horions ; l’apaisement s’est fait aussitôt.

Plus d’âge, plus d’opinions ni politique ni religieuse, pas de nationalité, plus de frontières : des catholiques, des israëlites, des protestants de divers pays, venus là, sans distinction de caste, pour le triomphe du droit et de la justice.

Et comme ou voit bien qu’il n’est encore que ce terrain : humanité, droit, justice, équité, qui soit véritablement celui de l’entente et puisse renverser ces vieilles lignes démarcatives entre des individus parlant un langage différent.

Certes, ce n’est pas sans émotion que nous avons vu, à Franklin, fraterniser allemands, anglais, suisses et italiens ; démocrates, opportunistes et socialistes. Tous frères !

Le riche négociant, ami de la propriété, coudoyant le camelot anarchiste ; l’humble débitant, ce serviteur des petits et des humbles, assis à côté du dé d’Argent ; l’industriel millionnaire secouant la main calleuse du journalier ; le savant médecin brûlant d’ardeur pour le journaliste et l'avocat donnant l’accolade au modeste vidangeur. Comme ça sentait bon la fraternité.

On a beau être esprit fort — sans être pour cela sceptique, — on ne résiste guère à de pareilles manifestations où la solidarité joue le principal rôle.

Notre distingué confrère, M. Dumoulin s’est révélé comme orateur. Son succès a été complet. Labori eût été présent qu’il n’eut pas manqué d’applaudir. Son saisissant tableau de Dreyfus à l’île du diable, couché sur la paille humide du cachot, est bien un peu le pastiche de la paille de feu Pie IX et le « Judas » par lequel on passe au prisonnier le pain et l’eau nous a, malgré nous, fait songer à celui qui trahit le Christ, mais, puisqu’il s’agit d’en défendre un, l’orateur ne pouvait guère se dispenser de la figure.

 

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