Rapport sur l'état d'ébriété des hommes de garde du poste de l'octroi de Rouen dans la nuit du 4 au 5 février 1871.
Découvrez un épisode peu glorieux de la guerre 1870-1871 survenu parmi les rangs de la Garde nationale au poste de l'octroi de Rouen.
Ce bureau d’octroi se trouvait à l'intersection des rues de Normandie et Lanchard. Actuellement, ce bureau d'octroi correspond au bureau de poste à l'angle de la rue Aristide Briand et du boulevard de Graville.
Alors que la capitulation a été signée à Paris le 28 janvier 1871 et que l'occupant prussien est au porte de la Ville, l'armée, la gendarmerie et la garde nationale restent mobilisées. Leur rôle au Havre est de protéger les voies d'accès à la ville notamment. Des hommes sont donc chargés de monter la garde devant les principaux points d'accès de la ville. A cette époque, les axes majeurs de communication qui permettent d'entrer et de sortir de la ville, donc les voies qui permettent au marchandises de transiter, sont équipés aux limites administratives de la ville de postes d'octroi. En temps de guerre ce poste, qui sert de prélèvement de taxes sur les marchandises, devient aussi un poste de contrôle des allées et venues. C'est en pleine nuit, lors d'un anodin contrôle, que ce déroule cette affaire, un soir où les soldats ont bu. Excessivement bu trop d'alcool.
Par ailleurs, cette affaire met en lumière l'alcoolisme de la société et plus particulièrement l'alcoolisme qui se repend dans les rangs des forces armées.
Cette histoire se termine avec de la prison pour les deux malheureux protagonistes de cette histoire.
Rapport
Sur les faits qui se sont passés au poste de l’Octroi de Rouen dans la nuit du 4 ou 5 février 1871
Mon colonel,
J’ai terminé l’enquête que vous m’aviez chargé de faire sur les faits regrettables qui se sont passés au poste de l’Octroi de Rouen dans la nuit du samedi 4 au dimanche 5 février dernier.
J’ai vu et interrogé à cet égard le Maréchal-des-Logis Prudent, les Gendarmes Hombre et Tanpinard, les receveurs et employés de l’Octroi de Rouen et divers voisins, témoins des faits dont il s’agit. Enfin je viens de voir le Capitaine Dufresne à la Compagnie duquel appartiennent les gardes nationaux incriminés dans cette affaire. Voici ce qui résulte des renseignements à moi transmis par suite de cette enquête.
Le poste de l’Octroi de Rouen se compose d’un sergent, 2 caporaux et 2 hommes, lesquels sont installés dans une petite maison située, rue de Normandie, à cent mètres environ avant le Bureau d’Octroi. Ce poste détache pendant le jour un caporal et 6 hommes au bureau même de l’Octroi devant lequel se trouve un fonctionnaire. La nuit, à partir de 9 h du soir, il n’y a plus dans ce bureau que 2 gendarmes et 2 employés de l’Octroi, plus le factionnaire qu’on vient relever du poste principal.
Dimanche 5, entre minuit et 1h du matin, le factionnaire Chauvin (Médéric), qui était ivre, arrêta un officier d’artillerie qui rentraient en Ville. Cet officier n’avait pas le mot d’ordre mais avait une permission en règle qu’il montra au sieur Chauvin. Celui-ci répondit : « je ne sais pas lire, attendez que je sois relevé de faction, vous ne passerez pas avant ». Le bruit de cette discussion avait fait sortir le gendarme Hombre du bureau d’octroi où il se trouvait, ainsi qu’un employé de cet octroi. Voyant cette intervention, Chauvin croisa la baïonnette sur le gendarme et lui dit : « je vous arrête aussi, vous ne passerez pas. »
Cependant ce factionnaire finit par se rendre aux observations du Gendarme Hombre, par relever sa baïonnette et pas laisser passer l’officier. Ce dernier, accompagné du gendarme se rendit alors au poste et ils trouvèrent tous les hommes de garde moins un (le caporal Bunel) dans un état complet d’ivresse. Le sergent Gaumont, chef du poste était ivre lui-même ; il trébuchait et s’approcha pour donner une poignée de main à cet officier qu’il ne connaissait nullement. Le Caporal Miret était également pris de boisson. Tous les voisins que j’ai vus, les employés de l’octroi, les employés des Omnibus dont la station touche l’octroi sont unanimes pour se plaindre de l’état continuel d’ivresse dans lequel se trouvent les gardes nationaux de service à ce poste et du tapage qu’ils font toutes les nuits. Ils peuvent fermer l’œil. L’un d’eux, un contre-maître de la station des Omnibus m’a même dit ceci : « il est très rare de voir un factionnaire qui ne soit en état d’ivresse. »
Tout le monde est aussi d’accord pour constater que jamais le tapage n’a été si fort, ni les hommes de garde si gris que dans la nuit du 4 au 5. Les factionnaires tutoyaient toutes les personnes qu’ils arrêtaient pour demander les laissez-passer. Un factionnaire, vers 10 h du soir, s’est même avisé de croiser la baïonnette sur un omnibus vide et, comme on le lui fesait remarquer, on lui a armer son fusil : heureusement il n’avait pas de cartouches.
Dans le dossier de cette affaire se trouvent trois dépositions écrites ; celle du Sergent Gaumont, du Caporal Miret et du garde Deblay. Je me suis assuré par moi-même de manière à m’en pouvoir douter que ces 3 rapports sont complétement mensongers et faux d’un bout à l’autre.
Le rapport du Sergent Gaumont raconte le fait comme s’étant passé à 6h ½ du soir ; or tout le monde a constaté que c’étaient entre minuit et 1h du matin ; comment a-t-il pu se tromper de plus de 6 heures ?
En outre ce rapport parle d’un officier mon muni de permission. C’est faux ; l’officier avait une permission ; le Gendarme Hombre et l’employé de l’Octroi Cambronne l’ont vue et tenue dans la main. Enfin il prétend que cet officier a donné le mot d’ordre à haute voix ; c’est également faux. L’officier n’avait pas le mot d’ordre et on lui a même entendu répondre aux observations du factionnaire à ce sujet : « je n’ai pas le mot d’ordre, mais, comme je viens de travailler chez mon Commandant, j’aurais pu l’avoir si je le lui avais demandé. »
Le rapport du Caporal Miret n’est pas plus exact. Il porte que l’officier d’artillerie était accompagné de 2 autres. Ceci est démenti par tous les témoins : cet officier était seul. Il n’a pas donné le mot d’ordre à haute voix, puisqu’il ne l’avait pas. Enfin ce Caporal n’a pas pu faire aucune observation à l’officier, puisqu’au dire du Gendarme Hombre, il n’assistait pas à la discussion survenue avec le factionnaire.
Quant au 3e rapport, signé Deblay, et qui prétend que le Gendarme Hombre aurait vu avec les hommes du poste, je la crois également inexact. Les employés de l’Octroi m’ont affirmé que les Gendarmes n’avaient nullement bu, et le sieur Hombre m’a renouvelé cette affirmation en ajoutant qu’il n’avait rien pris du tout avec ce Sieur Deblay ni avec les autres.
Le Maréchal-des-Logis Prudent m’a fait le plus grand éloge des Gendarmes Tanpinard et Hombre qui font toujours parfaitement leur service. Les employés de l’Octroi m’ont dit la même chose sur leur compte. Ces hommes sont très modérés et on peut s’en rapporter à leur témoignage et à leurs dépositions.
Le Sergent Gaumont, chef du poste, et le Caporal Miret qui, comme je l’ai fait remarquer ont menti grossièrement dans leurs rapports sont, au dire de Monsieur Dufresne, leur Capitaine, d’assez tristes sujet. Ils ont tous deux, surtout le sieur Gaumont, la fâcheuse habitude de boire et ils font, par suite, très mal leur service. Le Gendarme Hombre, qui était présent lors de l’interrogatoire de ces deux hommes à l’Etat-Major de la Garde Nationale a entendu le Caporal Miret avouer qu’il était pris de boisson dans la nuit du 4 au 5. Ces deux hommes, surtout Gaumont, qui, en sa qualité de chef de poste, aurait dû donner l’exemple aux autres et les maintenir, mais qui, au contraire, avait du encore plus qu’eux et se trouve responsable des faits regrettables qui ont eu lieu, méritent très peu de ménagements et de considération.
Quant au factionnaire Chauvin, son capitaine m’a dit que c’é tait un bon sujet et qu’il ne se grisait jamais. Ce qui lui est arrivé est donc un fait isolé ; il n’a eu que le tort de boire ciomme et avec ses camarades et de suivre le fâcheux exemple que lui opnt donné le Caporal Miret et le chef de poste Gaumont qui ont cherché par des mensonges à se disculper mais n’ont réussi qu’à aggraver les torts dont il se sont rendus coupables.
Veuillez agréer, Mon Colonel, l’assurance de mes sentiments les plus respectueux et les plus dévoués.
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