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ARCHIVES - LE HAVRE   FR / EN
Carenne d’un navire dans le Bassin du Havre en présence du Roy, le 20 septembre 1749.
Exposition numérique

Louis XV au Havre en 1749

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Après avoir longtemps stagné en dépit d'une grande activité dans la pêche morutière, Le Havre se reconvertit au début des années 1730 dans le grand cabotage européen et le commerce colonial. Ce choix stratégique, qui a pu se faire grâce à l'apport de capitaux des élites parisiennes et rouennaises, lui vaudra de bénéficier d'un décollage économique spectaculaire qui ira croissant jusqu'à la Révolution. Dépendante de ces mêmes capitaux jusqu'aux années 1770, l'élite négociante havraise prendra par la suite son essor et affirmera dorénavant son indépendance économique. La visite du roi et d'une partie de la cour représentait donc pour le port et la ville une formidable opportunité en cette année 1749. Celle-ci était d'autant plus à saisir que Louis XV ne se déplaçait que très rarement hors de Versailles et que les courtisans disposaient de capitaux considérables qu'il importait de capter et d'employer à bon escient pour y dynamiser le commerce international.

Les échevins havrais étaient pour la plupart des marchands issus de la roture et ils y virent bien sûr une occasion extraordinaire de drainer ces fortunes aristocratiques vers le port du Havre sans recourir à ces intermédiaires obligés qu’étaient devenus les négociants rouennais. Ce n’est d’ailleurs probablement pas un hasard si c’est en cette même année 1749 que naquit le premier projet de création d’une Chambre des Négociants au Havre.

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Mais là n’est pas l’unique enjeu de cette visite. En effet, depuis plusieurs années déjà, l’extension du port et l’amélioration de ses infrastructures étaient devenues nécessaires du fait de l’accroissement de l’activité portuaire et du tonnage des navires. D’autre part, l’augmentation de la population liée à cet essor économique rendaient tout aussi indispensable un agrandissement significatif de la ville. Un projet en ce sens fut d’ailleurs présenté au roi lors de sa visite, lequel prévoyait l’arasement d’une partie de la citadelle et l’incorporation de son front oriental aux fortifications urbaines, ainsi que le déplacement plus au nord de la partie septentrionale de l’enceinte. Ce projet ne sera en fait réalisé qu’à partir de 1787, à la suite de la visite de Louis XVI au Havre en 1786…

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Enfin, un certain nombre d’enjeux individuels entrèrent en ligne de compte, à commencer par les intérêts bien compris du gouverneur royal du Havre, le duc de Saint-Aignan, qui éprouvait à l’époque le besoin pressant de redorer son blason auprès du roi pour des raisons à la fois personnelles et politiques. Par ailleurs, les échevins visaient les charges et les honneurs qu’un zèle opportun et visible à l’égard du monarque ne manquerait pas de leur apporter. Parmi ces honneurs, l’anoblissement était sans conteste le plus recherché, non seulement pour la position sociale enviée et les pouvoirs afférents qu’il était susceptible de conférer dans une ville moyenne comme Le Havre, mais également pour les retombées sonnantes et trébuchantes espérées à plus ou moins long terme.

Quoi qu’il en soit, ni le port ni la ville ne virent se réaliser les projets d’extension imaginés mais, par contre, plusieurs échevins, et non des moindres, furent bel et bien anoblis entre 1749, année de la visite royale, et 1753, date de la publication du grand livre relatant ce mémorable évènement.

 

Quelques mots sur le livre en tant qu’objet

La ville du Havre conserve quatre exemplaires sur les 225 imprimés de la Relation de l’arrivée du roi. Trois font partie des collections des Archives municipales ; la Bibliothèque municipale conserve le quatrième.

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Le plus ancien exemplaire de ce « livre de fête » présent dans les collections municipales, qui a fait l’objet de la présente numérisation, fut sans doute conservé dans les archives du corps de ville jusqu’à la Révolution (cote BATGF6464). A cette date, toutes les mentions du roi ou de la Majesté royale furent maladroitement biffées à la plume ; il ne dut alors sa conservation qu’au titre de « monument des arts ». La reliure en basane ornée d’une large dentelle et de quatre lys environnés de motifs aux petits fers sur les plats fut, elle aussi, modifiée et amputée des grandes armes de France qui ornaient le centre des plats ; on leur substitua deux pièces ovales d’un cuir plus rouge, à grain long, ornées en leur centre les armoiries de la Ville. Une restauration plus récente a reconstitué le dos de l’ouvrage en pastiche du XVIIIème siècle. L’usure des plats et les longues coupures du cuir laissent croire que le volume servit de sous-main sur un bureau.

Le second exemplaire de l’ouvrage présent dans les collections publiques havraises est celui de la Bibliothèque municipale (NA 58) : inscrit le 28 décembre 1836 dans l’inventaire de la bibliothèque, il est réputé provenir du couvent des Capucins du Havre, après avoir été confisqué aux religieux à la Révolution. Le volume a conservé intacte sa reliure ancienne en plein veau brun, orné des grandes armoiries de la Ville au centre d’un encadrement de triples filets dorés, comportant aux quatre coins des fleurons fleurdelisés.

A ces deux volumes complets, il faut ajouter deux autres exemplaires privés des gravures conservés par les Archives, entrés dans les collections par don en 1978 (BATGF6463) et 2004 (BATGF6462). Ce dernier présente un troisième type de reliure, en plein maroquin rouge estampé des grandes armes royales au centre des plats, et d’un encadrement de dentelle comportant quatre lys aux coins. Sur un tel ouvrage, les armoiries royales participent du prestige de la publication.

 

Réalisation de l'ouvrage et de ses gravures

On connaît huit récits, plus ou moins officiels et répétitifs, du voyage du roi Louis XV au Havre. Leur confrontation permet de placer à l’origine de la Relation, un texte, publié anonymement à Rouen en 1749 et dont Michel Dubocage de Bléville serait l’auteur. On apprend en conclusion de ce texte que très rapidement la Ville afin d’« éterniser la mémoire de l’honneur qu’elle vient de recevoir » a sollicité le dessinateur Jean-Baptiste Descamps, prestigieux directeur de l’école de dessin de Rouen, pour réaliser neuf dessins des « endroits où le roi s’est porté ».

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En février 1750, les échevins, sur « les ordres » du gouverneur, le duc de Saint-Aignan, décidèrent d’éditer un volume illustré rappelant le voyage du roi et s’inspirant de celui réalisé pour commémorer la visite de Louis XV à Strasbourg en 1744. En avril 1750, Jean-Baptiste Descamps a terminé deux vues, celles de l’entrée du roi dans la ville et de la côte d’Ingouville. Cependant, en mars 1751, afin d’accélérer la réalisation des dessins et sur proposition de Duhamel du Monceau, inspecteur de la Marine, Nicolas Ozanne, alors dessinateur à Brest, fut adjoint à Jean-Baptiste Descamps.

L’ensemble des six dessins fut achevé en 1751 puis gravé par Jean-Philippe Lebas pour être inclus au cœur de l’ouvrage. Quant au texte de seize pages, remanié de manière élogieuse par le duc de Saint-Aignan, il est orné de vignettes et lettrines décorées, œuvres de Michel-Ange Slodtz. La Relation est imprimée par Guérin & Delatour à Paris et reliée par Dubuisson en mai 1753. L’ouvrage fut édité à 225 exemplaires, sous des reliures différentes, et ceux-ci furent généreusement distribués à la cour où il fut officiellement présenté au roi par le duc de Saint-Aignan et une délégation des échevins en juin ou juillet 1753.

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Le montant global de la dépense pour la municipalité fut considérable. Une quittance de la seule impression mentionne un montant de 13 997 livres. Les paiements, nombreux, s’échelonnent jusque dans les années 1760. La dépense engagée par la Ville démontre l’importance des enjeux placés dans la visite du roi au Havre et dans la réalisation de cet ouvrage prestigieux censé en perpétuer le souvenir dans l’esprit des visiteurs et promouvoir durablement l’image de la ville et du port du Havre dans l’esprit de tous ceux qui comptaient pour lors.

 

Source
Aline Lemonnier-Mercier, Septembre 1749, le pouvoir en représentation : Louis XV au Havre, motivations et conséquences, Cahier Havrais de Recherche Historique, n°67, 2009. pp.139-156.