Avec l’intensification du trafic maritime, l’installation du gouvernement belge à Sainte-Adresse, l’afflux de très nombreux réfugiés belges et français, l’implantation des camps militaires anglais à Bléville, Graville et Harfleur puis l’arrivée des soldats américains en 1917, le trafic du réseau havrais connut un développement considérable : 21,7 milions de voyageurs en 1915, 24,5 en 1916, 30,5 en 1917 et 38,3 en 1918, un record qui ne sera plus jamais atteint par la suite. La fréquentation était telle que le conseil municipal s’inquiéta des dangers encourus par ces « grappes humaines » qui s’accrochaient aux plates formes des tramways.
Dès le début des hostilités, la Compagnie dut faire face aux conséquences de la mobilisation de ses salariés. Elle embaucha des wattmen belges et anglais et forma des « wattwomen » qui furent affectées à la conduite des motrices sur les lignes en palier. Elle recruta aussi de très nombreuses receveuses. Pour réduire ses dépenses d’exploitation, la CGFT ferma plusieurs lignes qu’elle jugeait non rentables : il en fut ainsi des lignes Jetée/Hève, Gare/Jetée et Rond-Point/Notre-Dame.
La Compagnie fut aussi amenée à accorder à son personnel des augmentations de salaire : primes de cherté de vie, allocations d’aide aux familles des mobilisés, allocations de décès et primes pour frais de guerre. Pour compenser l’augmentation de sa masse salariale, elle décida de limiter au maximum ses investissements : elle affecta ainsi de fortes sommes en « provisions pour grands travaux à réaliser après la paix » qui furent intégrées dans la comptabilité générale de la compagnie.
Dès 1917, elle annonça que le réseau havrais allait être en déficit et elle réclama aussitôt à la municipalité conduite par Pierre Morgand une hausse des tarifs ainsi qu’une indemnité extra-contractuelle pour frais de guerre. Suite au refus des élus havrais, elle déposa alors plainte contre la Ville devant le Conseil de préfecture de la Seine-Inférieure. Ce fut le point de départ du conflit qui allait l'opposer durant deux années à la Ville après la mise sous séquestre, le 12 mai 1919, du réseau havrais.
A la fin des hostilités, le réseau havrais se trouvait dans un état tout à fait lamentable. Comme le disait William Cargill dans une conférence de la Société havraise d’Etudes diverses en 1919, l’état du matériel roulant était tel qu’il importait de remplacer rapidement toutes les motrices en service au Havre.
De son côté, la CGFT arguait que la guerre et la surexploitation du réseau étaient à l’origine de cette dégradation et qu’elle ne pouvait en aucun cas envisager l’achat de motrices neuves. De même, elle refusa d’accorder des augmentations de salaire à son personnel ce qui déclencha au début d’avril 1919 des mouvements de grève des agents des voies, des salariés des ateliers puis des wattmen et des receveurs. Le 27 avril, le réseau havrais fut ainsi totalement paralysé.
Malgré l’intervention des élus, la CGFT refusa d’accéder aux demandes du comité de grève et elle réclama à la Ville une hausse des tarifs pour assainir sa situation financière. En fait, contrairement à ses dires, la compagnie n’était pas déficitaire. Elle avait même, d’après ses bilans, dégagé un excédent de 77 000 francs en 1917 et de 32 000 francs en 1918. Avec les provisions pour travaux, l’excédent réalisé par le réseau havrais s’élevait à 1 297 000 francs pour 1917 et à 1 328 000 francs pour 1918.
Après avoir consenti une augmentation de 5 centimes du prix des billets le 12 mai 1919, le maire Pierre Morgand mit en demeure la CGFT de répondre favorablement aux demandes de son personnel pour permettre la reprise du travail. La compagnie ayant rejeté les revendications du comité de grève et les demandes des élus, le conseil municipal du Havre se prononça alors, dans la soirée du 12 mai, en faveur de la mise sous séquestre du réseau du Havre.
Cette décision retirait la gestion du réseau à la CGFT. Elle fut entérinée le 16 mai par un décret du préfet de Seine-Inférieure qui nomma Emile Evers administrateur du séquestre, à charge pour la Ville du Havre d’assumer la responsabilité financière du réseau.
Sous l’égide du préfet Charles Lallemand, un accord fut passé le 21 mai 1919 avec les représentants du comité de grève sur la base du paiement des jours de chômage technique et d’une augmentation de 3,50 francs du salaire journalier du personnel roulant. Le trafic put donc reprendre dès le lendemain sur le réseau havrais après 32 jours d’arrêt.
La mise sous séquestre du réseau du Havre suscita une vive réaction de la direction générale de la CGFT. Celle-ci déposa une nouvelle plainte devant le Conseil de préfecture en réclamant à la Ville 14 900 000 francs de frais d’établissement du réseau, 2 000 000 de francs de dommages-intérêts et 1 000 000 de francs de pertes d’exploitation. Elle réclama aussi à l’Etat 1 000 000 de francs à titre d’indemnités de guerre. Déboutée au Conseil de préfecture, la CGFT fit alors aussitôt appel devant le Conseil d’Etat.
Après consultation d’un avocat, la Ville se résolut à passer un accord amiable avec la CGFT compte-tenu de la jurisprudence du Conseil d’Etat sur ce type de litige. Après l’entrevue tenue au Havre le 7 janvier 1920 entre Léon Boulle et le nouveau maire radical socialiste Léon Meyer, les deux parties s’entendirent sur la signature d’une nouvelle convention.
Un accord provisoire fut donc passé entre la Ville du Havre et la CGFT le 14 mars 1921 ce qui permit à l’ex-directeur Alfred Soclet de présider à nouveau aux destinées du réseau havrais à compter du 1er mai 1921. La convention définitive fut signée par les deux partenaires les 18 et 20 décembre 1921. Ce texte substituait une « régie intéressée » à la convention de 1893-1895. Il accordait un certain nombre d’avantages à la Ville : une redistribution plus équitable des bénéfices tirés du réseau, un contrôle direct sur la gestion de la compagnie et l’abandon des poursuites judiciaires de la compagnie. De son côté, la CGFT obtenait un allongement de la durée de sa concession (1969) et se trouvait dispensée de financer les éventuels déficits du réseau ou de construire de nouvelles lignes de tramway.
En 1919, le réseau du Havre offrait 10 principales lignes de tramway à la clientèle havraise : Rond-Point/Sainte-Adresse, Jetée/Graville, Quai de Southampton/Grands Bassins, Hôtel de Ville/La Hève-Nice havrais et Phares, Gare/Bléville avec une variante Gare/Sanvic, Amiral Mouchez/Sanvic, place Gambetta/cimetière Sainte-Marie, cimetière Sainte-Marie/rue de Normandie-Hallates et place Gambetta/Harfleur-Montivilliers.
En raison des dispositions de l’accord de 1921, seuls quelques aménagements furent apportés au réseau. Citons le numérotage des lignes en 1921 et la création des circulaires C1 et C2 en 1928 sur un tracé Octroi de Sainte-Adresse/Hôtel de Ville/Gare/Rond-Point/Hôtel de Ville/Octroi de Sainte-Adresse. Ces deux circulaires furent d’ailleurs supprimées en 1931 et remplacées en 1933 par une ligne n°10 qui reliait le Rond-Point à Sainte-Adresse. On procéda aussi en 1938 au fusionnement des lignes 1 et 8 sur un tracé Ignauval/Hallates et des lignes 4 et 6 sur une liaison Bléville/Pont V. Signalons enfin que la ligne de tramway n°9 fut arrêtée en semaine à Graville et remplacée par une liaison par autobus entre le Havre et Harfleur en 1932 et entre le Havre et Montivilliers en 1933.
Quant aux motrices, elles furent réaménagées avec l’adjonction de vitres sur les plates-formes puis modernisées entre 1931 et 1934. Avec l’achat en 1932/1933 de 6 motrices neuves SAFT, le parc roulant havrais s’éleva à 107 voitures en 1939.
C’est la même année que la Ville décida de mettre en service trois lignes d’autobus sur des parcours non desservis par le tramway (les lignes 1, 2 et 3). Pour ce faire, elle passa des contrats de location avec la société Renault-Scemia puis elle acquit des autobus Somua, Citroën et Renault-Scemia. Après avoir supprimé ces trois liaisons au bout de quelques mois, la CGFT ouvrit les lignes D (Gare/Mare-au-Clerc) et E (Gare/Aplemont) en 1930, les lignes C (rue de Normandie/Pont III) et 9H (Le Havre/Harfleur) en 1932, puis les lignes 9M (Le Havre/Montivilliers) et F (cimetière Sainte-Marie/cimetière Nord) en 1933 et 1934. Signalons aussi qu’en mars 1938, la Ville renonça au projet de substitution du trolleybus au tramway suite à des essais peu concluants et au coût élevé de l’opération.
En 1939, le réseau comptait donc 9 lignes de tramway (les 1/8,2,3,4/6,5,6C,7,9 et 10) ainsi que 5 lignes d’autobus (C,D,E,F et 9). Les tramways assuraient 91,8% du trafic contre 8,2% pour les autobus.
Contrairement aux attentes de Léon Meyer, l’exploitation du réseau havrais devint très vite un véritable souci pour la municipalité du Havre. Les exercices 1923, 1924, 1925, 1927 et 1929 se soldèrent par des déficits liés à la baisse de fréquentation du réseau havrais. Pour la Ville, la situation n’était pas critique puisque sa charge nette se trouvait allégée par la prime d’économie et par la redevance voyageurs. Ce qui fait que la Ville du Havre dégagea un bénéfice net de 2 143 000 francs sur l’ensemble de la période 1921-1929 contre 6 617 000 francs pour la compagnie.
Le krach boursier d’octobre 1929 vint par contre compliquer la situation. Léon Meyer fut contraint d’imposer une politique de rigueur budgétaire et d’adopter toute une série de mesures d’économie : réduction des dépenses d’investissement en matériel roulant, limitation de la fréquence de rotation des rames, fusionnement de certaines lignes, remplacement des arrêts fixes par des arrêts facultatifs, entretien des voies « au strict indispensable », mise en service de lignes à un seul agent, abaissement des salaires des nouveaux agents, nouveau statut du personnel.
L’effectif de la compagnie tomba ainsi à 581 agents en 1935 contre 853 en 1929 et 729 en 1932. Mais malgré ces mesures de restriction budgétaire, la situation financière du réseau havrais ne cessa d’empirer avec la diminution de la fréquentation : 29,2 millions de passagers en 1930, 19,1 millions en 1934 et 15,9 en 1939. De ce fait, les déficits d’exploitation du réseau atteignirent des sommets et le déficit net de la Ville du Havre ne fit que s’alourdir. Sur la période 1930-1939, celle-ci dut ainsi assumer 8 563 000 francs de déficit alors que la CGFT continua à dégager des bénéfices substantiels (5 662 000 francs).
De plus, les relèvements de salaire liés à la grève de 1936 comme l’application des lois prises par le Front populaire ne firent qu’aggraver la situation.
La municipalité radicale socialiste fut donc contrainte de reconnaître en janvier 1937 qu’il ne pouvait « plus être question aujourd’hui de faire assurer par l’usager seul l’équilibre financier du réseau » et que la Ville devait désormais « intervenir régulièrement chaque année pour assurer cet équilibre ». On entrait ainsi officiellement dans le concept de service public.
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